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mercredi 30 juillet 2014

Bonjour, je m'appelle Nesyamon


Je suis la plus vieille habitante de Roanne. Pensez donc, je suis née il y a environ 3130 ans ! Ma première vie fut bien courte, en comparaison de tout ce qui a suivi.

Nesyamon. Ce nom sonne étrange aujourd’hui. Mais du temps de ma jeunesse, pendant la XXIe dynastie, en Basse Egypte, c’était un nom fréquent chez les femmes. Cela signifie celle qui appartient à Amon, le Dieu Soleil. C’est logique. En effet, je travaillais dans le temple d’Amon à Karnak. Mon nom est comme une offrande au Dieu.

Comme toutes mes consœurs, qui travaillaient avec moi au temple, après ma mort, mon corps a été confié à des embaumeurs pour qu’il se conserve pour l’éternité. Me voici donc momie. Et enfouie pour attendre l’Avènement de l’ère des morts, dans un caveau global, à côté de Louxor, pas loin du Ramesseum, le temps funéraire de Ramsès II.

J’y ai attendu presque 3 000 ans, avec bien d’autres momies autour de moi. Nous n’avons jamais été dérangées par des pillards, heureusement. Puis, un jour, notre caveau a été ouvert. Ce n’était pas le début de l’ère des morts, comme nous aurions pu le croire, mais simplement des archéologues, qui recherchaient des momies pour le musée du Caire. Comme j’avais conservé une jolie forme, j’ai été emportée.

De nouveau la lumière. L’Egypte avait bien changé, depuis tout ce temps. Mais j’ai vite compris que je n’y resterais pas. Dans la salle des ventes, j’ai été choisie par un homme, Joseph Déchelette, habillé d’une bien curieuse façon. Il était Roannais et cherchait une momie pour ses collections.

Me voilà donc sa propriété. J’ai eu de la chance, il n’avait pas l’intention de me découper en morceaux pour me revendre. Au lieu de cela, il m’a emmené en voyage. Avec lui, je suis allée en Palestine puis en Syrie. Bien sûr, je n’en ai pas beaucoup profité. Mais jamais je n’aurais pu prétendre à telles aventures au cours de ma vie.

Puis, après une dernière traversée en bateau, j’ai expérimenté quelque chose qui ne m’a pas plus du tout : une immense boîte lancée à toute vitesse dans la fumée. Ils appellent cela un train. J’ai bien regretté les doux bercements des barques de roseaux sur le Nil.

Nous sommes enfin arrivés à Roanne. Mon propriétaire, Joseph Déchelette, m’a tout de suite installée dans le musée. J’en avais besoin après un aussi long voyage. Et là, le défilé a commencé. Je crois que toute la ville est venue me voir. Je ne m’attendais pas à un tel succès. Mais personne n’avait jamais vu de momie.

Le public roannais n’a pas faibli. Depuis un siècle, dans ma vitrine, j’ai vu défiler des milliers de personnes. Des adultes, des groupes, et des enfants, beaucoup d’enfants. Ils collent le visage à la vitrine comme s’ils voulaient y entrer. Le plus amusant est de les voir grandir. Et puis un jour, ils reviennent, et ils sont à leur tour accompagnés de leurs enfants.
Il me tarde de les retrouver. Quand je serai dans ma nouvelle salle, j’espère bien qu’ils viendront nombreux me revoir.

mardi 22 juillet 2014

Comment tout a commencé…


La momie de Nesyamon exposée à l'intérieur de son sarcophage dans l'ancien musée de Roanne situé dans l’hôtel de Ville, vers 1900 – ©Ville de Roanne

C’est aussi grâce à Joseph Déchelette ! En plus de ses découvertes en archéologie gallo-romaine, de ses publications et de son généreux don, autant de faits mis en lumière dans l’exposition Arkeo quand l’homme construit son histoire organisée en l’honneur du centenaire de sa disparition, nous lui devons aussi l’existence d’une collection égyptienne à Roanne.

En 1893, Joseph Déchelette est en voyage en Italie, en Égypte et en Palestine, à la fois pour des intérêts industriels familiaux et pour sa culture. Il visite de nombreux sites, rencontre les dirigeants  des musées d’archéologie, se fait introduire sur les chantiers de fouilles.

En Égypte, les hommes du XIXe siècle ont parfaitement compris que les restes de leur passé pharaonique intéressent l’Europe et peuvent se vendre, parfois fort cher. Des ventes s’organisent dans tout le pays, secrètes ou bien officielles. Le musée du Caire possède ainsi une salle des ventes pour acheter des souvenirs plus vrais que nature. Des momies ou des statuettes au lieu de cartes postales.
C’est là que Joseph Déchelette, muni de lettres de recommandations de ses confrères, achète sur ses deniers personnels, et pour une somme qu’il qualifie lui-même de raisonnable, une momie humaine, son sarcophage et son matériel funéraire.  

La momie de Nesyamon le suit ensuite dans le reste de son voyage, en Palestine d’abord, puis en Syrie, avant d’embarquer avec lui une dernière fois à destination de Marseille et enfin de remonter jusqu'à Roanne. Long voyage pour cette momie, morte et embaumée presque 3000 ans auparavant, mais à l’époque, la présence d’une momie égyptienne sur un paquebot n’avait rien d’étonnant. D'autres érudits européens ou américains en ramenaient chez eux. Joseph Déchelette aurait même argué de son titre de conservateur du musée de Roanne pour couper aux contrôles de douane.

De retour, Joseph Déchelette installe Nesyamon dans le musée, alors situé dans l’hôtel de ville, le 30 avril 1893. Dès lors, le musée ne désemplit plus… Les visiteurs viennent effectivement beaucoup plus pour la momie que pour les vases gaulois. Mais qu’importe : Joseph Déchelette a réussi ce qui reste aujourd’hui un très bel acte de marketing.