Je suis la
plus vieille habitante de Roanne. Pensez donc, je suis née il y a environ 3130
ans ! Ma première vie fut bien courte, en comparaison de tout ce qui a
suivi.
Nesyamon. Ce
nom sonne étrange aujourd’hui. Mais du temps de ma jeunesse, pendant la XXIe
dynastie, en Basse Egypte, c’était un nom fréquent chez les femmes. Cela
signifie celle qui appartient à Amon, le Dieu Soleil. C’est logique. En effet,
je travaillais dans le temple d’Amon à Karnak. Mon nom est comme une offrande
au Dieu.
Comme toutes
mes consœurs, qui travaillaient avec moi au temple, après ma mort, mon corps a
été confié à des embaumeurs pour qu’il se conserve pour l’éternité. Me voici
donc momie. Et enfouie pour attendre l’Avènement de l’ère des morts, dans un
caveau global, à côté de Louxor, pas loin du Ramesseum, le temps funéraire de
Ramsès II.
J’y ai
attendu presque 3 000 ans, avec bien d’autres momies autour de moi. Nous
n’avons jamais été dérangées par des pillards, heureusement. Puis, un jour,
notre caveau a été ouvert. Ce n’était pas le début de l’ère des morts, comme
nous aurions pu le croire, mais simplement des archéologues, qui recherchaient
des momies pour le musée du Caire. Comme j’avais conservé une jolie forme, j’ai
été emportée.
De nouveau
la lumière. L’Egypte avait bien changé, depuis tout ce temps. Mais j’ai vite
compris que je n’y resterais pas. Dans la salle des ventes, j’ai été choisie par
un homme, Joseph Déchelette, habillé d’une bien curieuse façon. Il était
Roannais et cherchait une momie pour ses collections.
Me voilà
donc sa propriété. J’ai eu de la chance, il n’avait pas l’intention de me
découper en morceaux pour me revendre. Au lieu de cela, il m’a emmené en
voyage. Avec lui, je suis allée en Palestine puis en Syrie. Bien sûr, je n’en
ai pas beaucoup profité. Mais jamais je n’aurais pu prétendre à telles
aventures au cours de ma vie.
Puis, après
une dernière traversée en bateau, j’ai expérimenté quelque chose qui ne m’a pas
plus du tout : une immense boîte lancée à toute vitesse dans la fumée. Ils
appellent cela un train. J’ai bien regretté les doux bercements des barques de
roseaux sur le Nil.
Nous sommes
enfin arrivés à Roanne. Mon propriétaire, Joseph Déchelette, m’a tout de suite
installée dans le musée. J’en avais besoin après un aussi long voyage. Et là,
le défilé a commencé. Je crois que toute la ville est venue me voir. Je ne
m’attendais pas à un tel succès. Mais personne n’avait jamais vu de momie.
Le public
roannais n’a pas faibli. Depuis un siècle, dans ma vitrine, j’ai vu défiler des
milliers de personnes. Des adultes, des groupes, et des enfants, beaucoup
d’enfants. Ils collent le visage à la vitrine comme s’ils voulaient y entrer.
Le plus amusant est de les voir grandir. Et puis un jour, ils reviennent, et
ils sont à leur tour accompagnés de leurs enfants.
Il me
tarde de les retrouver. Quand je serai dans ma nouvelle salle, j’espère bien
qu’ils viendront nombreux me revoir.
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