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jeudi 18 septembre 2014

Alerte, sales bêtes




En 2000, l’Egypte a été installée au deuxième étage de l’aile nord du musée. Enfin, une toute petite partie des collections. Nesyamon, son sarcophage et son matériel funéraire, c’est-à-dire la partie de la collection liée à Joseph Déchelette, et puis quelques statuettes, deux stèles, des petits objets … En réalité, bien peu si on pense à tout le reste qui dort en réserve. Les espaces prévus à l'origine pour les collections d’histoire naturelle n’en permettaient pas davantage.   
Le lieu n’était en rien adapté. Sous la toiture, la température monte parfois jusqu’à 40°C en été. Il y fait très sec. En revanche, en hiver, dès que le chauffage s’arrête, la température tombe et l’eau de pluie rentre souvent par les vasistas. Comme si cela ne suffisait pas, le plancher vibre à chaque pas, et le jonc de mer qui le recouvre retient la poussière.

Certains croient que comme les momies viennent d’Egypte, elles supportent bien la chaleur. C’est loin d’être le cas. Dans les tombeaux, il faisait au contraire frais et la température y était constante. En réalité, les momies et leurs sarcophages sont composés entièrement de matériaux organiques : des fibres végétales, du bois, des tissus, sans oublier les chairs momifiées. Elles constituent donc des collections fragiles, craignant les variations de températures et d’humidité, la lumière directe. Elles sont aussi susceptibles d’être attaquées par des insectes.
Ce qui n’a pas manqué de se produire. Dès 2010, l’état de Nesyamon attire l’attention de l’équipe du musée. Certaines de ses bandelettes se détachent et tombent en poussière tout autour d’elle. Une lampe lui est braquée dessus, et la chaleur qu’elle provoque est beaucoup trop forte. Une étude commence pour adapter sa présentation, mais l’espace est difficilement adaptable. La charpente n’est pas isolée, rendant fort complexe tout projet de climatisation. Difficile aussi de changer la collection d’espaces car le musée ne possède pas d’autres salles vides.

En 2012, la situation change du tout au tout quand des bêtes commencent à voler dans la vitrine, autour de la momie.
La plupart des insectes xylophages et kératophages ont deux phases de vie : une à l’état larvaire et une à l’état d’insecte proprement dite. Pendant la phase larvaire, qui peut durer selon les conditions climatiques, entre 6 mois et 10 ans, l’animal, bien à l’abri à l’intérieur de l’objet, mange en creusant des galeries. Ensuite, quand les conditions sont favorables, il éclot. Il ne vit alors que pendant quelques jours, étant un sexophore. En effet, il ne se nourrit pas, n’a pour fonction que de chercher un partenaire pour se reproduire. Avant de mourir, la femelle pond de nouveau les œufs. Ceux-ci deviennent des larves, qui recommencent une période larvaire.

En juillet 2012, les conditions de températures idéales dans la vitrine d’Egypte étaient atteintes, ce qui a permis aux larves de devenir des insectes. L’agitation était grande dans la vitrine ce jour-là.
Les salles ont dû être fermées. En effet, il devenait urgent de limiter la température, pour éviter de nouvelles éclosions. Pour cela, il fallait couper la lumière et condamner les vasistas, seule possibilité pour limiter l’apport de chaleur. Les vitrines n’étaient également plus adaptées à une présentation au public.

Dès la fin des grosses chaleurs, à l’automne, des spécialistes sont venus faire des prélèvements dans les vitrines pour identifier les insectes.   










La technique est relativement simple : des restaurateurs, habitués à manipuler des œuvres fragiles avec précaution, effectuent des frottis pour récupérer de la poussière contenant des traces de passage des insectes. L’ensemble est ensuite analysé en laboratoire.



L’analyse a permis de retrouver des traces de passage de cinq espèces différentes. Parmi eux :

-          Des insectes xylophages, qui mangent le bois des sarcophages

-          Des insectes qui mangent le textile, en particulier les bandelettes des momies

-          Des insectes kératophages, se nourrissant de kératine, produit vivant comme la peau, les cheveux…

-          Des champignons. 






L'insecte en bas à gauche est rouge et vert car il portait sur son dos des traces de polychromie,. En effet, pour arriver jusqu’au bois du sarcophage, il avait dû traverser le décor peint. Ce modeste insecte porte sur son dos des pigments vieux de 3000 ans, que les musées exposent si fièrement !

On ne retrouve pas toujours les insectes, mais parfois simplement les traces de leur passage : parties de chrysalides, mues, déjections, partie d’ailes, mais aussi des cadavres restés dans les vitrines.

Le compte-rendu de cette analyse a rendu nécessaire un traitement pour mettre un terme à cette infestation, dans une des collections les plus anciennes et prestigieuses du musée de Roanne

lundi 15 septembre 2014

2 momies + 2 autres momies = 4 momies


Oui, il y a bien 4 momies à Roanne. Etonnant. Peu de musées en France peuvent en dire autant.
Pour ma part, je m'appelle Nesykhonsou. Je suis une femme, aussi, comme la dernière, celle qui n'a pas de nom. C'est un hasard, mais les 4 momies de Roanne sont des femmes.  
Je ne suis pas la star du musée, comme Nesyamon ou Tjesisetperet. Personne ne m'a jamais emmenée en voyage. Et je ne pense pas avoir fait faire de cauchemar à qui que ce soit. C’est certain, je ne serai pas l'héroïne de la nouvelle présentation. Mais enfin, j'ai quand même des choses à vous raconter.
J’ai été achetée par un homme qui m'a ramenée à Bourg-lès-Valence et installée dans son salon ! Il y a vraiment eu des momies partout, à une époque. Sauf que lui a oublié de me léguer à un musée avant de mourir. Du coup, ses héritiers, qui ne partageaient pas son goût pour l’Egypte, m’ont simplement montée au grenier. J’aurais pu n’y être pas trop mal, sans les souris. L’une d’elle a carrément fait son nid à l’intérieur de ma poitrine. Mes bandelettes sont encore toutes dérangées.
Ensuite, j’ai été mise dans une caisse et offerte comme présent au maire. Je n’ai rien contre les cadeaux, mais il y a l’art et la manière : là, j’ai vraiment été échangée dans un coin de couloir. Le maire m’a laissée dans la salle du conseil municipal. J’y suis restée pendant presque vingt ans, et je vous assure que j’en ai entendu des belles ! Puis, un jour, des journalistes se sont mis dans la tête de m’ouvrir, pour voir comment j’étais à l’intérieur. J’ai failli connaître le sort de Tjesisetperet. Heureusement, une employée de la mairie s’y est opposée. Et elle a tout fait pour que je sois envoyée à Roanne. Là, mon sarcophage a été présenté au public, mais moi, direction une caisse, une autre. J’y suis restée pendant vingt ans, avant de revoir – enfin – la lumière.

Nesykhonsou, le jour de l'ouverture de sa caisse. une souris a fait un trou dans sa poitrine
La quatrième et dernière momie n'a plus de nom. En fait, en Egypte, les sarcophages étaient faits à l’avance, avec une place vide pour ajouter au moment du décès le nom du défunt. Mais pour elle, cela n’a pas été fait. Le peintre a dû oublier. Ou bien ses héritiers ont oublié de le mentionner, et... enfin bref. On l'appelle la momie d'Aix-les-Bains, car elle a séjourné longtemps là-bas entre l'Egypte et Roanne. C'est une jeunette, pensez-donc ! Elle date de la Basse Epoque, elle a tout juste 2500 ans. Elle est lourde ! A Roanne, ils ont dû s'y mettre à quatre pour la porter, et ils étaient bien contents de la poser. Dans le passé, d'autres ont été moins soigneux. En la manipulant, ils lui ont cassé la tête et les pieds, elle est maintenant en trois morceaux.Ils l'ont aussi recouverte d'un vernis noir sensé faire tenir les bandelettes ensemble. Du coup, on l'appelle "la momie noire".

La momie anonyme d'Aix-les-Bains a été cassée au niveau des pieds et de la tête
A toutes les deux, on nous a promis une place dans la prochaine exposition temporaire. Nous en sommes bien contentes.

mercredi 10 septembre 2014

Bonjour, je suis Tjesisetperet


Je suis la plus célèbre des quatre momies de Roanne. Dès que les gens me voient, ils oublient les trois autres, et aussi, souvent, les autres momies qu'ils ont vu avant moi. Enfin, ce n'est pas pour autant que les gens se rappellent de mon nom.


Je suis habituée à cela. J’ai été présentée pendant exactement cent ans au musée Ochier, à Cluny, et j’ai terrorisé tous les enfants de la ville pendant un siècle. Des adultes, aussi, même s’ils ne veulent pas le reconnaître. Quand on me voit, on comprend vraiment ce que signifie une momie.

Au musée Déchelette, les autres momies sont parfois un peu jalouses. Elles aimeraient bien, elles aussi, que l'on se rappelle d'elles. Enfin, sauf Nesyamon, qui elle, préfère intriguer les enfants et les faire rêver que leur faire peur. Chacun sa spécialité.  

Je ne partage guère les avis de Nesyamon, ni à propos des enfants, ni au sujet de notre histoire. Moi, je préférais nettement mon tombeau. Il faut dire qu’il avait tout le confort : ma famille y avait veillé, car nous étions des gens bien nés. Il était situé à quelques kilomètres de Thèbes, que les hommes d’aujourd’hui appellent Louxor. Comme de nombreuses momies y arrivaient, il a été plein rapidement, il y a environ 2 800 ans, puis fermé. Et sans un égyptologue nommé Maspéro, nous y serions encore. 


Mais voilà, à cette époque, la mode pour les momies se développait fort, et pour honorer des visiteurs, parfois, on leur faisait cadeau d'une momie. Ce fut mon sort : je fus offerte comme cadeau diplomatique à un industriel, nommé Pierre Grand. Franchement ! Bien sûr, personne ne m'a demandé mon avis. 

Dès le début, nous ne nous sommes pas bien entendus. Il m’a laissée prendre le paquebot et le chemin de fer seule, mais en plus, il a cloué le sarcophage pour que personne ne risque de l’ouvrir en son absence. Les trous se voient encore. 
  
Le voyage fut interminable. J’ai débarqué à Marseille en plein mois de juillet, et je suis restée dans un entrepôt, au milieu des caisses de marchandises, en attendant qu’on veuille bien me mettre dans un train. Beaucoup croient que les momies égyptiennes sont résistantes à la chaleur, mais c’est faux. Je supportais la chaleur quand j’étais une femme, bien sûr, mais maintenant, c’est au contraire très dangereux pour moi. Et après avoir passé 2 700 ans en Egypte, je ne souhaite pas que la France ait raison de moi !
Le pire était encore à venir. Pierre Grand avait envoyé une lettre à son oncle pour qu’il vienne me réceptionner à la gare de Cluny. Mais lui n’était pas là. Quand les deux hommes se sont enfin rejoints, ils ont eu l’idée de couper mes bandelettes pour voir un peu à quoi je ressemblais. Et je peux vous dire qu’ils n’y sont pas allés en douceur. Ils ont utilisé la scie et le scalpel. Ils cherchaient des amulettes, bien sûr, mais ils n’en ont pas trouvées. A mon époque, ce n'était carrément plus la mode! Par contre, les résultats sont bien là. Enfin, vous pouvez le voir vous-même. Ils m’ont ouvert le ventre, cassé des côtes, cassé la mâchoire, cassé des dents. Je suis aujourd’hui ce que vous appelez une « gueule-cassée ». Et dans mon cas, c’est loin d’être exagéré.
Alors, du coup, je me suis vengée de la seule façon possible. Pierre Grand s'est empressé de me donner au musée de sa ville, à Cluny, parce que notre cohabitation était difficile, mais cela n'a rien résolu. Je lui ai filé des cauchemars jusqu'à sa mort. C'est bien la moindre des choses, quand même. En même temps, je m'amusais aussi les enfants, les parents, les professeurs qui venaient au musée… ça marche, vraiment bien. Même l’équipe du musée, tenez ! Il y a eu plus d'un agent qui refusait de venir balayer autour de ma vitrine. Sans parler de ceux qui ne voulaient pas traverser la salle. A un moment, ils ont mis un rideau devant moi. Puis ils m'ont aussi descendue à la cave. Là, je m'amusais moins, mais en même temps, ils oubliaient aussi ma présence, ce qui me permettait de faire encore plus d'effet quand un explorateur s'aventurait de mon côté... 

En 1991, le musée de Roanne leur a demandé d’obtenir mon sarcophage en dépôt, pour le présenter dans une exposition. Mon sarcophage, uniquement. Mais comme à Cluny, ils étaient fatigués de mes plaisanteries, ils m’ont envoyée en même temps. Sans le prévenir, bien sûr... Je ne vous raconte pas de la tête du régisseur de Roanne quand il m’a découverte dans mon sarcophage. J’en ris encore.
A Roanne, j'étais été mise en réserve, mais régulièrement, quelqu'un ouvrait la caisse pour voir si j'étais à la hauteur de la légende. J'ai toujours fait face. Et là, il paraît que je vais bientôt ressortir. L'équipe du musée a des projets pour moi. Du coup, je leur ai soufflé une petite idée, et visiblement, ça va se faire. Si c'est le cas, on va rigoler, je vous assure. 

 Vous vous croyez au-dessus de cela ? Vous pensez que cela ne vous fait pas peur ? Venez me voir, et ensuite, vous jugerez. J’ai entendu parler des films d’horreur, des jeux video. Mais moi, ça me fait doucement rigoler.